Quand nous veillons (Christus Octobre 2020 N° 268)

Veiller dans la foi aujourd'hui

 Christian SAURET

Le choc de la pandémie a fait résonner l’aspiration à l’avènement d’un monde meilleur, en même temps que s’élevaient des voix défaitistes. Veiller dans la foi peut redonner espérance et rendre attentif aux germes qui grandissent dans la société et dans l’Église.

Veiller au temps de la Covid-19… Un oxymore, tant cette crise nous a pris au dépourvu. Dès son début, les médias ont publié de nombreuses tribunes affirmant que le monde d’après-crise ne serait pas comme celui d’avant. Le choc de la pandémie a libéré l’expression des espoirs d’un monde meilleur. Et, très vite, sont arrivées des opinions inverses, pour en contester la pertinence. Que penser de ces débats ? Pour moi, un signe révélateur des malaises profonds qui affaiblissent, rongent notre société, puisque la description d’un monde différent, au moins en partie, nous a été proposée immédiatement, sans qu’il ne paraisse nécessaire de l’accompagner d’une analyse de la faisabilité du changement. Un tel débat a son utilité, mais sans doute pas pour qui veut discerner des signes d’espérance pour l’avenir. L’attention du veilleur doit se porter ailleurs.

Je retiens une deuxième leçon de la crise sanitaire, à partir de l’analyse par Mgr Vincent Jordy de notre
attitude collective pendant le confinement1 . Nous avons docilement supporté d’être confinés et protégés pendant que les soignants étaient au front, nous avons toléré les limitations de liberté, y compris celles qui nous interdisaient d’être aux côtés de nos proches au seuil de la mort. Nous en avons souffert mais nous ne nous sommes pas révoltés. En revanche, certains se sont insurgés contre la durée de l’interdiction du culte dominical, au point de saisir le Conseil d’État. « On peut s’interroger sur les enjeux d’une telle mobilisation d’énergie pour le retour du culte et le peu d’investissement dans ce qui pourrait sembler un enjeu bien plus fondamental. En effet, qu’est-ce que le jeûne eucharistique à côté du drame de tant de personnes qui, malgré le dévouement des soignants, ont dû affronter la mort dans la solitude, sans le soutien de leur famille, de leur Église, dans les hôpitaux, les Ehpad ? Qu’est-ce que la déshumanisation de la mort alors que la manière de traiter les morts est un des signes majeurs qui fonde et qualifie l’humanité ? » Avoir établi ce parallèle, n’est-ce pas, de la part de son auteur, veiller dans la foi ?

Le Mouvement chrétien des cadres et dirigeants (MCC) m’a accompagné au long de ma vie professionnelle.
Il a été une école de discernement (au sens ignatien), m’aidant dans la gestion des hommes et la conduite des changements en entreprise. Je m’appuie aujourd’hui sur cet acquis pour porter un regard de veilleur. La veille, selon moi, va au-delà d’une simple attention aux événements. Elle les observe pour discerner avec la liberté que la foi procure, pour capter des signaux qui laissent apparaître que des prises de conscience, des décisions, des actions sont le fruit d’une inspiration où l’Esprit est à l’œuvre. À mon avis, ce ne sont pas les circonstances spectaculaires qui sont les plus intéressantes, mais les signaux faibles qui se détectent dans le temps long, par leur reproduction insistante qui fait sens. Ils indiquent souvent le passage en cours des prises de conscience individuelles à la compréhension collective puis au changement social rendu possible. Ce sont eux que je vais décrire, signaux présents depuis des années et qui s’amplifient pas à pas, dans la société comme dans l’Église.

Un rapport différent au travail

Les entreprises constatent chez leurs jeunes collaborateurs une attitude différente de celle de leurs aînés visà-vis du travail. Ce phénomène est particulièrement repérable chez les diplômés d’études supérieures, au point d’amener les employeurs à adapter leurs pratiques de management. Un directeur des ressources humaines explique : « Les jeunes que je vois dans mon entreprise se montrent responsables de leur travail et s’impliquent au quotidien mais, pour autant, refusent de s’investir au-delà de leur fonction. Ils font bien ce qui les intéresse dans leur métier mais veulent se déconnecter totalement de l’entreprise dès que leur journée est finie. Le sens de l’engagement à moyen terme, de la mission pour l’entreprise, a disparu. » (revue Responsables du MCC, n° 447, avril 2020). Les jeunes demandent que leur travail ait du sens pour eux mêmes, avant qu’il en ait pour leur entreprise. Ils ne veulent pas consacrer toute leur énergie à un système de production qui a souvent épuisé leurs aînés à force d’implication néfaste pour leur équilibre personnel et familial. Attitude individualiste, de riches ? Peut-être, mais ils vivent dans un monde qui encourage cette attitude. Leur comportement traduit surtout la défiance à l’égard d’un système économique qui prend et rejette les compétences en fonction de ses besoins, sans proposer un objectif autre que la plus grande rentabilité financière. Certes, ce n’est pas le cas de tous les jeunes, ni de toutes les entreprises. Un clivage s’opère ainsi entre ceux qui continuent d’adhérer au modèle dominant et ceux qui cherchent à travailler dans un autre contexte, porteur d’un autre système de valeurs.

Une interprétation critique relèvera la perte du sens de l’engagement de la part de ces jeunes. Mais une autre interprétation soulignera le désir de donner du sens à son activité professionnelle et, à défaut de l’obtenir, de ne pas accorder à son travail plus d’importance que nécessaire. Veiller, à ce sujet, c’est identifier la concomitance entre ce besoin de sens et l’épuisement du discours sur l’excellence élitiste, de la compétition exacerbée entre les individus, dont le but n’est pas un résultat bénéfique pour tous mais le profit de quelques-uns. Que les jeunes générations soient plus déterminées à rejeter cette dérive de notre système économique me paraît positif pour le monde de demain.

L'enjeu de la transition écologique

La quête de sens des jeunes rejoint un autre signe : le désir général d’une vie plus sobre, écologiquement
raisonnable. Pendant près d’un demi-siècle, les alertes lancées par les spécialistes de l’environnement sont restées inaudibles. Aujourd’hui, l’inquiétude pour le climat envahit la société civile, mais sans parvenir encore à produire des engagements forts au niveau des États et des décideurs économiques. N’y a-t-il pas quelque chose de désespérant dans l’inertie de nos dirigeants ? Oui, en un sens. Mais regardons comment, en peu d’années, la transition écologique est devenue un enjeu primordial.

L’encyclique Laudato sí y a contribué, en marquant les esprits au-delà du monde catholique. Elle a établi la légitimité de l’Église à se saisir d’un tel sujet, en dépit de quelques critiques internes. En développant la problématique écologique à la fois dans sa dimension spirituelle et dans ses implications concrètes pour l’humanité, elle a montré à quel point le développement économique, la justice sociale (et le respect dû à tout être humain) ainsi que la sauvegarde de la planète sont liés dans un système d’interactions complexes, que les hommes ont trop longtemps ignorées en considérant séparément ces trois grands objectifs. Notre prise de conscience, tardive et encore partielle, est malgré tout un vrai signe d’espoir.

Les jeunes sont à nouveau en pointe sur ce thème, premiers concernés par la crise climatique qui avance. Leur mobilisation au niveau international en 2019 et l’impulsion donnée par Greta Thunberg sont des signes qui méritent notre attention. Ils ont contribué au changement de posture de plusieurs dirigeants économiques. Cette initiative s’est pourtant heurtée aux critiques condescendantes, la traitant d’immature et d’utopique. Erreur de jugement selon moi, car elle nous signifie, tout comme Laudato sí, que la rationalité économique seule, qui pousse au déni de la catastrophe qui s’annonce, ne suffira jamais à trouver la bonne approche de la question écologique, ni donc du bien commun. Ce sont les convictions fortes, la volonté des jeunes d’assumer leur avenir, la foi dans l’Esprit à l’œuvre dans le monde, qui finiront par emporter l’inertie générale… En ce sens, les premiers indices d’une influence positive sur les milieux économiques sont très importants.

L'amorce d'un changement

Depuis les années Reagan-Thatcher, le rendement maximal à court terme a imposé sa loi aux entreprises du monde entier, au prix de l’explosion des inégalités. Or la critique de ce système, longtemps réservée à ses contestataires, est désormais portée par certains dirigeants eux-mêmes. Le forum de Davos de janvier 2020 a été le théâtre de nombreuses déclarations favorables à un véritable aggiornamento du capitalisme international. Le patron de BlackRock, premier fonds mondial de gestion d’actifs financiers, veut placer le développement durable au cœur de sa stratégie. Cela ne suffira pas à rendre vertueuse la finance mondiale, mais on doit entendre le signal. Quelque temps auparavant, la France a inscrit dans la loi des dispositions qui élargissent la responsabilité des grandes entreprises en vue du bien commun. La loi du 27 mars 2017 établit le devoir de vigilance des multinationales à l’égard de leurs sous-traitants. La loi Pacte de 2019 crée le statut d’« entreprise à mission », inspiré notamment des travaux du Collège des Bernardins. Ce statut, proche de dispositions existantes dans certains pays anglo-saxons, porte une conception renouvelée de l’entreprise, dont la raison d’être n’est plus seulement le profit, mais une contribution sociétale devant se traduire en objectifs précis et évaluables. Au début de 2020, plusieurs groupes français ont déclaré leur intention de se transformer en entreprises à mission.

Les étapes d'une conversion collective

Notre société présente encore un autre signe positif : le besoin, très partagé malgré l’individualisme ambiant, de retrouver du lien, de « refaire société ». Il se manifeste par une tension de plus en plus palpable entre un monde qui accélère, qui presse les individus, qui exalte les gagnants, et une soif de temps disponible pour se retrouver soi-même, être en relation avec les autres, retisser du lien social2 . Ce désir de relation n’est pas porté particulièrement par des convictions religieuses, il s’exprime de multiples manières dans la société civile. Un signe de l’action de l’Esprit dans le cœur des hommes en quête de sens ? Il nous autorise à penser qu’il pourra être suffisamment intense pour faire barrage aux excès des comportements individualistes.

Dans mon attitude de veille, je réalise à quel point notre monde est animé aujourd’hui par un désir de
conversion, au sens étymologique de changement nous permettant de nous tourner vers du neuf. On trouve peut-être là une explication des attentes exprimées dès le début de la pandémie. Cette difficile conversion, exacerbant les résistances liées aux situations acquises et aux certitudes, se produit pas à pas, dans les consciences puis dans les actes, par degrés. À un premier degré, des personnes prennent conscience d’un changement nécessaire pour elles-mêmes, s’engagent dans une voie nouvelle par intérêt personnel ou au service d’une cause plus large. À un deuxième degré, ces initiatives individuelles se reconnaissent, créent des communautés d’intérêt, des mouvements d’opinion, des actions collectives dirigées vers un bénéfice partagé. Arrive le moment où le niveau de la décision stratégique s’empare des questions de société ainsi mises en évidence et canalise les changements en vue d’un bien commun pour tous. Les signes d’espoir apparaissent justement lorsqu’on peut percevoir que les changements individuels, discrets, commencent à faire sens pour un nombre croissant d’observateurs puis à orienter les politiques.

Une démarche rationnelle et spirituelle

Et, dans l’Église, que décèlent les veilleurs dans la foi ? Ici plus qu’ailleurs, j’ai la conviction que veiller suppose de conjuguer discernement et prière, écouter l’Esprit au travers des intuitions qu’Il suscite,
construire sa réflexion pour vérifier leur solidité, s’en remettre à Lui pour trouver l’espérance. Le veilleur nepeut pas se contenter d’observer l’Église comme une institution humaine, et pourtant il doit aussi utiliser l’observation sociologique, l’analyse politique et sociale des organisations, pour comprendre ce qui s’y joue.

L’Église traverse une phase difficile de son histoire. Elle n’a jamais été aussi faible quant à sa capacité
d’influence dans la société. Elle est perçue par beaucoup comme une institution en dehors des évolutions de la société. Cependant, elle continue d’être respectée pour l’ensemble des activités caritatives qu’elle déploie directement ou qu’elle inspire dans le monde auprès des pauvres, des exclus, des migrants, et à chaque fois qu’elle prend position contre la haine et l’injustice. Mais, en interne, l’Église souffre beaucoup et, comme bien d’autres, je me sens désemparé devant les dissensions qui minent son gouvernement, les oppositions récurrentes entre « tradition » et « ouverture », la chute du nombre de prêtres et de religieux ou religieuses, les scandales qui la défigurent… Confronté à ce mur de problèmes, le veilleur doit être capable, selon moi, d’en faire une lecture plurielle, décourageante, d’un côté, et source d’espérance, d’un autre. Des signes de vitalité demeurent bien présents dans la vie des communautés chrétiennes, au plus près du terrain.

Les femmes au cœur de ces évolutions

C’est par les femmes que l’Église retrouvera une relation véritable avec le monde actuel, selon moi. Cette affirmation paraîtra osée ou utopique. Il n’est cependant pas concevable que l’institution qui a reçu du Christ mission d’annoncer l’Évangile se coupe durablement de la société. Or l’évolution sociologique la plus fondamentale des cinquante dernières années concerne la place que les femmes ont prise dans le fonctionnement des sociétés développées par leur accès à l’ensemble des responsabilités professionnelles et sociales. Les faits sont là, même si, dans les mentalités et les actes, beaucoup reste à faire pour que les conséquences en soient acceptées. Il n’est pas question de dire que la société civile serait au bout de ce processus, mais de souligner qu’elle est suffisamment avancée sur ce chemin pour que nous en appréciions les effets positifs.

Par conséquent, dans l’Église, la question de la place reconnue aux femmes n’est plus facultative. Personne ne peut penser que la situation restera figée. Pour les missions qui contribuent directement au
fonctionnement de l’Église, la question n’est pas d’accorder des responsabilités aux femmes, elle est de les reconnaître. Elles sont membres de conseils épiscopaux, responsables des services de la pastorale,
participent aux conseils de certains séminaires pour accompagner la formation des futurs prêtres, sont
sollicitées par un évêque au conseil qui nomme les prêtres en paroisse… Cependant, rien ou presque n’a changé dans les rapports d’autorité entre ces femmes et les clercs avec lesquels elles collaborent. « La diversité de nos insertions nous donne d’entendre des échos très divers de la vie de l’Église en France. Nous rendons grâce pour toutes les expériences de fraternité qui s’y vivent, à tous les niveaux : diocésain, paroissial, communautaire… Toutefois, nous ne pouvons taire le malaise et les difficultés que vivent beaucoup d’entre nous, en particulier des religieuses qui exercent avec compétence une responsabilité pastorale, dans une Église où le dernier mot revient à un prêtre, y compris lorsqu’il n’est pas requis qu’il en soit ainsi3 . » Face à ce malaise aussi profond que le cléricalisme et entretenu par lui, l’espoir m’apparaît dans la rencontre d’une volonté et d’un impératif fonctionnel : volonté du pape François de lutter contre les méfaits de ce cléricalisme trop présent, et constat que l’Église fonctionne au quotidien grâce à l’engagement et au travail des femmes. On ne pourra plus longtemps leur dénier le partage effectif des responsabilités. Cet impératif ne se confond pas avec la question de l’accès des femmes aux ministères ordonnés. À ce sujet, je me réjouis que le pape ait demandé que soit rapidement étudiée la possibilité de l’ordination diaconale des femmes.

Vers des ministères nouveaux4 ?

La raréfaction des prêtres5 n’est pas porteuse d’espoir. Mais des effets positifs à cette situation sont
envisageables, selon les réponses que l’Église y apportera. Les prises de position dans les médias chrétiens, les travaux des commissions, des synodes, en dernier lieu celui pour l’Amazonie, demandent la mise en place de nouvelles formes de « ministérialité », au moins à titre expérimental. Il ne s’agirait pas tant d’envisager que des hommes mariés puissent devenir prêtres que d’organiser une redistribution des ministères et de concevoir des ministères nouveaux pour prendre en charge la responsabilité et l’accompagnement de communautés chrétiennes en dehors de la fonction sacramentelle. Ce n’est pas une idée nouvelle, elle a déjà été expérimentée, notamment à Poitiers avec Mgr Albert Rouet. Des mandats ecclésiaux, limités dans le temps, permettraient à des laïcs, femmes et hommes, d’assumer une part des fonctions qui reposent aujourd’hui entièrement sur les épaules des prêtres. Ces nouveaux ministères contribueraient aussi à décléricaliser l’Église et à désacraliser la figure du prêtre, non seulement dans sa propre tête mais aussi dans celles de nombreux laïcs. N’est-ce pas là une voie pour que les Églises locales puissent demain continuer d’annoncer l’Évangile, malgré le manque de prêtres ?

Dépasser les scandales et s'ouvrir au monde

La révélation des scandales – phénomènes d’emprise et abus sexuels dans l’Église – serait-elle
paradoxalement un autre signe d’espoir ? Aussi douloureux que soit le dévoilement des turpitudes
commises, l’Église a enfin admis qu’elle ne pouvait plus soustraire les clercs impliqués à la justice civile.
Plus fondamentalement, elle a commencé à prendre conscience, sous la pression des opinions publiques, que La révélation des scandales – phénomènes d’emprise et abus sexuels dans l’Église – serait-elle paradoxalement un autre signe d’espoir ? Aussi douloureux que soit le dévoilement des turpitudes commises, l’Église a enfin admis qu’elle ne pouvait plus soustraire les clercs impliqués à la justice civile.
Plus fondamentalement, elle a commencé à prendre conscience, sous la pression des opinions publiques, que ces faits constituaient des atteintes aux personnes d’une extrême gravité. En sortant de cet aveuglement délétère pour les consciences et pour son image, l’institution ecclésiale est-elle sur le chemin d’une conversion lui permettant de se comporter vis-à-vis de ses propres membres, consacrés comme laïcs, d’une manière plus acceptable et compréhensible par la société contemporaine ? Je veux l’espérer, en dépit des zones d’ombre qui perdurent. L’enquête en cours de la commission Sauvé tout comme le travail de vérité engagé notamment dans les communautés nouvelles6 me confortent dans cette espérance. Ce processus ne clôt pas pour autant la recherche sur les abus commis, comme le souligne l’Avref7 , et la nécessité de faire la vérité est de plus en plus pressante.

Mon regard de veilleur se tourne alors vers la figure du pape François. Sa devise « Miserando atque
eligendo8 » est parole d’espérance pour qui reçoit, dans la confession de son péché, la force du renouveau. 
Par ses écrits et ses prises de parole qui rappellent à l’Église les priorités de sa mission – attention aux plus pauvres, aux périphéries, dénonciation de l’injustice d’un monde fracturé –, François encourage le peuple de Dieu à quitter ses conformismes et ses peurs. Sa volonté de réformer sans heurter et de promouvoir la synodalité devrait réjouir l’ensemble des chrétiens. Mais résistances et crispations sont considérables et la barque de saint Pierre navigue au milieu de forces contraires. Malgré sa fatigue, le pape tient le cap et porte à l’espérance. Qu’il me soit permis de penser qu’il agit lui-même comme un veilleur exercé, attentif au chemin que l’Esprit saint lui trace pour l’Église, et s’en remettant à Dieu pour la progression des réformes.

Veiller sur l'Église, un acte de foi

À vue humaine les signes de changement dans l’Église semblent ténus et manifestent pour l’instant des
intentions davantage que des actes. Je me sens parfois découragé devant la fracture ouverte entre le
conservatisme religieux et l’audace à laquelle appelle l’Évangile. Mais je me dis aussi que l’Église a traversé les siècles avec cette blessure au cœur d’elle-même. Dès lors, ma veille éprouve le besoin de s’ancrer davantage dans la prière, avec l’espérance que Dieu comblera les attentes de tous ceux qui, au-delà du fonctionnement de l’institution, croient que l’Église a reçu les paroles de la vie éternelle et continuera de les transmettre, en trouvant les mots et les formes adaptées au monde auquel elle est envoyée.

Notes :
1 Voir la tribune dans La Croix du 14 juin 2020, à laquelle est empruntée la citation qui suit.
2 Le sociologue et philosophe Hartmut Rosa développe une vaste analyse théorique de cette tension, entre le concept d’« aliénation », produit par l’« accélération du temps », et celui de « résonance », qui correspond au besoin de l’homme de se sentir en symbiose avec les autres et le monde.
3 Rencontre avec les supérieur·e·s des instituts religieux ignatiens, article paru dans La Croix du 16 décembre 2019.
4 Les idées exprimées ici sont empruntées notamment au théologien dominicain Ignace Berten.
5 Selon la Conférence des évêques de France (CEF), les prêtres diocésains étaient, en France en 2005, au
nombre de 16 075 et, en 2015, de 11 908, dont environ 5 800 en activité. Ils devraient être moins de 4 300 en activité en 2024. En 2016, 80 nouveaux prêtres ont été ordonnés, contre 135 en 2006 (source : La Croix, 3 juin 2017).
6 Ainsi les frères de Saint-Jean ont conduit un processus de réforme sur six années, aboutissant à une
« refondation » de la Communauté au terme de son chapitre général de 2019.
7 Association d’aide aux victimes des dérives de mouvements religieux en Europe et à leurs familles.
8 « Choisi parce que pardonné. » Provenant d’une homélie de saint Bède le Vénérable en hommage à la
miséricorde divine, cette expression est, depuis son épiscopat à Buenos Aires, la devise du pape François