“Fratelli tutti”, l’encyclique sociale du Pape François

Le message de la nouvelle encyclique sociale du Pape François sur le fraternité et l’amitié sociale ( signée le 3 octobre à Assise et publiée le lendemain, en la fête de Saint François ), est que personne ne se sauve tout seul. Le Pape invite à bâtir une société fraternelle pour ne pas être accablés par les guerres, la haine, la violence, l’indifférence et les nouveaux murs.

Regarder les autres comme des frères et sœurs pour sauver le monde
Nous sommes entourés par «les ombres d’un monde fermé» mais il y en a qui ne se résignent pas à la progression de l’obscurité, et qui continue à rêver, à espérer, à se salir les mains en s’engageant à créer de la fraternité et de l’amitié sociale. La troisième guerre mondiale a déjà commencé, la logique du marché fondée sur le profit apparaît victorieuse sur la bonne politique, la culture du déchet semble prévaloir, le cri des peuples de la faim n’est pas écouté, mais il en y a qui indiquent une voie concrète pour construire un monde différent et plus humain.

Il y a cinq ans, le Pape François publiait l’encyclique Laudato si’ en mettant en évidence les connexions qui existent entre crise environnementale, crise sociale, guerres, migrations et pauvreté. Et il indiquait un objectif à atteindre : celui d’un système économique et social plus juste et respectueux de la création, qui ait au centre l’homme gardien de la mère terre et non pas l’argent élevé au rang de divinité absolue.

Aujourd’hui, avec la nouvelle encyclique sociale Fratelli tutti, le Successeur de Pierre montre la voie concrète pour arriver à cet objectif : se reconnaître frères et sœurs, frères parce que fils, gardiens les uns des autres, tous sur la même barque, comme la pandémie l’a rendu encore plus évident. La voie pour ne pas succomber à la tentation de l’homo homini lupus, (l’homme est un loup pour l’homme) des nouveaux murs, de l’isolement, et regarder au contraire l’icône évangélique du Bon Samaritain, si actuel et éloigné des schémas.

Reconnaitre le Christ dans tout être humain Le chemin indiqué par le Pape François est basé sur le message de Jésus qui fait tomber toute extranéité (jugement de l’autre comme étant étranger). Le chrétien est en effet appelé à «reconnaître le Christ en tout être humain, à le voir crucifié dans l’angoisse des abandonnés et des oubliés de ce monde, et ressuscité en tout frère qui se relève». Mais le message de la fraternité peut être accepté, compris, partagé également par les croyants d’autres religions, ainsi que par de nombreux non-croyants.

La nouvelle encyclique se présente comme une somme du magistère social de François, et rassemble de manière systématique les idées offertes par les déclarations, discours
et interventions des sept premières années de son pontificat. Une origine et une inspiration sont certainement représentées par le Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, signé le 4 février 2019 à Abou Dhabi avec le Grand Imam  d’AlAzhar, Ahmad Al-Tayyeb. À partir de cette déclaration commune, qui constitue un pierre milliaire dans le dialogue entre les religions, le Pape réitère son appel à adopter le dialogue comme moyen, la collaboration commune comme conduite et la connaissance mutuelle comme méthode et critère.

Repenser la politique

Il serait toutefois réducteur de reléguer la nouvelle encyclique uniquement à la sphère du dialogue interreligieux. Le message de Fratelli tutti concerne chacun d’entre nous. Et il contient également des pages éclairantes sur l’engagement social et politique. Il peut sembler paradoxal que ce soit l’évêque de Rome, voix dans le désert, qui relance aujourd’hui le projet de la bonne politique.
Une politique capable de reprendre son propre rôle, trop longtemps confié à la finance et à la fable des marchés qui produiraient du bien-être pour tous sans avoir besoin d’être gouvernés.
Un chapitre entier est consacré à l’action politique vécue comme un service et un témoignage de charité, qui se nourrit de grands idéaux et de projets pour demain en pensant non pas au petit gain électoral mais au bien commun et surtout à l’avenir des nouvelles générations.
Encore une fois, à un moment où de nombreux pays ferment leurs portes, c’est précisément le Pape qui formule l’invitation à ne pas perdre confiance dans les organismes internationaux, bien qu’ils aient besoin d’être réformés pour que ce ne soient pas seulement les plus forts qui comptent.
Parmi les pages les plus puissantes de l’encyclique figurent celles consacrées à la condamnation de la guerre et au rejet de la peine de mort. Dans le sillage de l’encyclique du Pape Jean XXIII Pacem in Terris, partant d’un regard réaliste sur les résultats catastrophiques que tant de conflits de ces dernières décennies ont eu pour la vie de millions d’innocents, le Pape François rappelle qu’il est aujourd’hui très difficile de maintenir les critères rationnels mûris au cours des autres siècles pour parler d’une éventuelle «guerre juste». Tout comme le recours à la peine capitale, qui doit être abolie dans le monde entier, est injustifié et inadmissible.
Il est vrai, comme le souligne le Pape, que «dans le monde d’aujourd’hui, les sentiments d’appartenance à une même humanité s’affaiblissent, tandis que le rêve de construire ensemble la justice et la paix semble une utopie d’un autre temps». Mais il est nécessaire de revenir au rêve et surtout de réaliser ce rêve ensemble. Avant qu’il ne soit trop tard.

Présentation d’Andrea Tornielli, directeur éditorial de la communication du Saint-Siège
Site Internet : https://www.vaticannews.va/fr.html
Le texte intégral de l’encyclique se trouve sur Internet en tapant le titre Fratelli tutti et en librairie.

Analyse d’Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne, en Guyane

« Cette encyclique est un monument ! Je reconnais en François le seul leader international capable de réfléchir sur l’état de notre monde et de proposer des solutions. Il fait une analyse fine de la situation, sans désespérance mais sans concession. Cela, lui seul peut le faire. On aurait pu attendre pareil travail de la part du secrétaire général de l’ONU ou bien des responsables de l’Union européenne, mais ce n’est pas le cas.
Il redonne sa dignité à la politique, car il la resitue dans son rôle d’être au service de l’être humain dans toutes ses dimensions, corporelle, sociale, spirituelle. Il rappelle à sa façon que si l’une de ces trois dimensions n’est pas honorée, le reste est bancal. Et il pointe le défaut majeur de la politique aujourd’hui : elle n’est pas au service du bien commun. François constate que nous sommes tous analphabètes en ce qui concerne l’accompagnement des plus fragiles.
Surtout, il explique que le service de tous ne connaît pas de frontières.
Il parle de la “limite des frontières”. Je suis navré de constater que les frontières n’existent plus ni pour l’argent ni pour le commerce. Tout circule sauf les pauvres ! Mais nous ne devons pas tout attendre de nos gouvernants.
Sa méditation de la parabole du Bon Samaritain est forte. Elle met en œuvre un étranger : lui s’est fait le frère de l’homme blessé. François constate que nous sommes tous analphabètes en ce qui concerne l’accompagnement des plus fragiles. Nous croyants ne sommes pas épargnés. Dans cette parabole, ceux qui passent leur chemin sont ceux-là même qui rendent un culte de Dieu. Croire en Dieu et l’adorer ne nous garantit pas de vivre selon sa volonté.
Pour les catholiques, l’enseignement à tirer de ce texte est que notre mission fondamentale est de proposer le message central de l’Évangile, à savoir l’amour de Dieu et l’amitié de Jésus. Par sa rencontre avec le grand imam Ahmad Al-Tayyeb, le pape François refait 800 ans plus tard le chemin de François d’Assise vers le sultan al-Malik al-Kamil. Il reprend, en final de l’encyclique, le document commun d’Abu Dhabi sur la fraternité : il n’y a pas d’alternative au dialogue. Les religions ont un rôle crucial à jouer ensemble aujourd’hui. »

Interview de Laurence Desjoyaux pour l’hebdomadaire chrétien La Vie : https://www.lavie.fr/