Homélie de Toussaint 2020 à Rémuzat

Ap 7 et Mt 5.

Saint Jean, le visionnaire de l’Apocalypse, nous invite à regarder au loin,à regarder où nous allons et avec qui nous marchons, ceux qui sont nos compagnons de route et ceux qui nous ont précédés. La communion des saints existe,non seulement avec ceux qui nous ont précédés, mais aussi avec ceux qui marchent aujourd’hui à nos côtés.

Habituellement, nous avons la tête dans le guidon et nous nous ne voyons guère plus loin que nos petits cercles de famille ou d’amis, bref vers ceux qui nous ressemblent. La fête de la Toussaint est un peu l’inverse de ces comportements, tout comme l’évangile des Béatitudes est à l’opposé de ce qu’on nous propose habituellement comme horizon de nos sociétés de compétition.

Nous succombons à l’addiction de nos écrans en tous genres (moi aussi hélas !): téléphone portable, tablette, PC ou télévision. Ils nous font zapper et ne nous laissent plus le temps de connaître la diversité et la complexité du monde. Ils nous écartent du prochain en prétendant nous rapprocher des autres à l’échelle du monde global. Finalement, si nous n’y prenons pas garde, ces outils nous enferment devant notre miroir. C’est comme si nous étions enfermés dans notre salle de bain ! Nous sommes atteints de cécité, nous ne voyons plus l’autre à nos côtés.

Et en ces temps de pandémie, tout devient anxiogène, l’autre nous fait peur, plutôt que de nos donner envie de le rencontrer. À plus forte raison sous son masque, et avec les gestes-barrière, gestes d’éloignement, certes nécessaires provisoirement. Mais si nous n’y prenons pas garde, tout contribue à aggraver notre narcissisme et à déformer notre vision de l’autre. L’autre n’est plus mon prochain, il devient en puissance un danger pour moi, plutôt qu’un frère à rencontrer et à aimer !

Déjà nous passions souvent à côté des personnes sans les voir ni les écouter, maintenant ils nous faut nous en méfier et les tenir à distance. Comment voir alors ces foules immenses, que nous présente le visionnaire Jean dans l’Apocalypse, les foules immenses de ceux qui nous ont précédés ou qui marchent aujourd’hui à nos côtés.

Il y a un grand contraste également entre ces foules de l’Apocalypse et celles qui sont venus auprès de Jésus dans l’Évangile. Quel contraste en effet entre ces foules immenses, parvenues au bût et triomphantes, les palmes à la main et vêtues de blanc, après être passé par la grande épreuve,quel contraste avec celles plus populairesde l’Évangile, venues écouter Jésus mais surtout lui confier leur mal-être et implorer une guérison.

Ces foules elles nous ressemblent aujourd’hui. Elles ne triomphent pas encore, elles ne sont pas au bout de leurs peines, parfois même elles ne savent plus trop où est la piste dans ce désert du monde, ni quel pain y manger, ni comment se soigner, ni à quel saint se vouer dans cette cacophonie d’informations. Mais elles espèrent.

Elles espèrent… Et Jésus va leur délivrer un message, par l’intermédiaire des disciples qui sont assis au premier plan. Un groupe de disciples et pas seulement les apôtres ; ils seront chargés d’annoncer cette Bonne nouvelle de la guérison, de la libération, du salut en Jésus-Christ. Jésus finalement propose un chemin de guérison.

Mais écoutons plutôt Jésus lui-même en direct :

Heureux les pauvres de cœurs, le Royaume des cieux, le Royaume de Dieu, est à eux. Le verbe est au présent, le Règne de Dieu, le monde nouveau, n’est pas pour plus tard. Il n’est pas pour après (nous pensons en ces jours à tous nos morts), le Règne de Dieu pour nous c’est d’abord pour aujourd’hui, un aujourd’hui appelé à se prolonger, si l’on peut dire, dans l’éternité de Dieu. Mais il est déjà là et d’abord pour nous aujourd’hui, en lien bien sûr  avec ceux qui nous ont précédés et à qui nous devons une grande partie de ce que nous sommes.

Jésus a pris de la hauteur sur la montagne, il nous invite à relever la tête, à voir au loin, il nous invite à convertir, à changer,  nos regards et nos comportements, pas seulement écologiques mais aussi sociaux et spirituels . Jésus ne fait pas de l’angélisme, il ne sépare pas le corps de l’esprit.

Il nous dit :

Heureux les pauvres de cœur et les apôtres d’une vie sobre, ceux qui se font serviteurs des autres. Le Règne de Dieu, le monde nouveau,le monde d’après, ils l’accueillent et le bâtissent déjà dans la discrétion, sans faire de bruit. Il sont sur le bon chemin.

Heureux les doux, les artisans de paix, tous les apôtres de la non-violence, les bâtisseurs de ponts plutôt que de murs, les tisseurs des bonnes relations de voisinage. Ceux qui ne passent pas leur temps à alimenter les ragots de boutiques ou à attiser les communautarismes, les sectarismes ou les discriminations en tous genres.

Heureux les miséricordieux, ceux qui savent pardonner et font preuve d’indulgence pour inviter l’autre à s’amender plutôt que de le condamner, ce que Jésus lui-même n’a jamais fait. Ils se souviennent que Dieu nous pardonne.

Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, ou comme dit l’Apocalypse :ceux qui lavent leur vêtement dans le sang de l’Agneau. Ceux qui prennent des coups au lieu d’en donner, et payent de leur vie. Ils sont critiqués ou calomniés, parfois emprisonnés ou mis à mort ; ils sont semence de martyrs d’hier et d’aujourd’hui, celle qui a donné et donne encore à l’Église sa crédibilité et son authenticité. Le martyr c’est le témoin.  Héritiers des martyrs des premiers siècles et des colonnes de l’Église, Pierre et Paul, pour ne nommer que ceux-là, ou parmi les plus récents, notre voisin ardéchois, récemment béatifié, le Père Gabriel Longueville, assassiné en 1976 en Argentine, par les soldats de la dictature. Ou comme ces six jeunes humanitaires victimes d’un attentat terroriste au Niger en août dernier.

Heureux sont-ils tous ces persécutés, grands ou petits,

car ils ont vu plus loin que l’immédiat et que leur petite vie personnelle. Ils ont su espérer contre toute espérance, comme dit l’apôtre.

Voyez comme il est grand l’amour que le Père nous a donné pour que nous soyons appelés enfants de Dieu… Le monde ne nous connait pas… mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables et nous le verrons tel qu’il est.

Telle a été l’espérance des saints et dès aujourd’hui ils triomphent… Telle est aussi notre espérance et nous cheminons plein de confiance en celui qui nous a préparé le chemin, lui le Ressuscité d’entre les morts. Amen.