RESSUSCITÉ, OUI OU NON ?

RESSUSCITÉ, OUI OU NON ?
Si Jésus n’est pas ressuscité, il reste au niveau des justes, comme Jean-Baptiste, Gandhi, Martin
Luther King. Il figure parmi ces innombrables héros qui ont combattu pour le droit et la justice
et qui ont été exécutés par leurs ennemis. Tous restent des modèles admirables dont on pleure
la disparition, à qui l’on dresse des statues, dont on relit les discours, que l’on se promet
d’imiter. Mais on reste au niveau moral.
De toutes ces grandes figures qui ont donné leur vie pour libérer les opprimés, changer les
conditions sociales, supprimer le racisme, aucune n’a eu la prétention de sauver
l’humanité de son aliénation radicale, de son penchant au mal et de sa destinée mortelle.
Alors on croit que Jésus a été exécuté pour raison religieuse (blasphémateur) ou politique
(séditieux dangereux pour l’ordre public) ou qu’il a été victime d’une erreur judiciaire,
d’un procès faussé. Et on continue d’ignorer la raison essentielle de cette mort, celle qui
explique la résurrection.
Le prisonnier Jésus qu’on avait pris, au fond se donnait. Refusant toute fuite pour se
préserver et toute haine contre ses bourreaux, il aimait. On voulait le supprimer et il
s’offrait. Le supplice infligé par les hommes devenait en lui supplication pour eux. Il
devait être plus qu’un prophète. Le Fils ?
En cette fête juive de la Pâque où on consommait un agneau pour célébrer la libération
des esclaves hébreux en Égypte et espérer la libération ultime d’Israël, Jésus se savait
l’unique Agneau qui, en toute conscience, donnait sens à cette horreur insensée de la
crucifixion. Son sang était répandu pour libérer les hommes de leur esclavage au mal et
de la tyrannie de la mort.
Paul le dit bien dans ce texte cité ci-dessus (1 Cor 15, 17) : « Si le Christ n’est pas ressuscité,
votre foi est illusoire, vous êtes encore dans vos péchés ».
SANS LA RÉSURRECTION ?
Si Jésus n’est pas ressuscité, comment expliquer le retournement radical des apôtres et des
femmes ? Les évangiles narrent sans vergogne leur foi flageolante, leurs doutes, leur lâcheté,
leur fuite éperdue, leur panique devant la mort, la trahison de leur maître.
Or, après la crucifixion, eux qui s’étaient dispersés se rassemblent ; ils sortent de leur cachette
et réapparaissent sur la scène publique ; ils étaient complètement horrifiés par la fin tragique
de leur aventure derrière le Nazaréen et on les retrouve joyeux, gambadant d’allégresse. Jamais
on n’a vu les élèves d’un grand maître, les fans d’un artiste, les compagnons d’un leader se
réjouir de leur disparition.
D’autant que tout de suite les disciples savent ce qu’ils risquent. Ils n’ont pas inventé une fable
pour chercher le succès, devenir célèbres et riches. Ils ne se sont pas limités à expliquer la beauté
du Sermon sur la montagne. Au contraire ils deviennent suspects aux yeux de tout le monde.
Car leur affirmation de Jésus vivant constitue une preuve de la félonie du grand Sanhédrin, un
camouflet insupportable pour le grand prêtre Caïphe convaincu de blasphème, pour Pilate
accusé de lâcheté puisqu’il a condamné un innocent. Et le peuple ne comprend pas ces «
nouveaux » qui ne sont ni juifs ni païens.
D’emblée la foi nouvelle est persécutée : des apôtres sont traduits au tribunal, certains sont jeté
en prison, des familles se déchirent, des morts surviennent. Mais ce qui en effraie sans doute
beaucoup renforce la conviction des autres. La crainte les étreint mais ils tiennent bon car Jésus
les avait prévenus : vous serez persécutés, parfois haïs de tous à cause de moi. Ils sont fiers
d’être des témoins, des martyrs. Par l’Esprit, Jésus vivant les ressuscite toujours de leur
anéantissement. Non leur foi n’est pas une hallucination.
SANS LA RÉSURRECTION ?
Si Jésus n’est pas ressuscité, alors pourquoi considérez-vous le dimanche comme un jour férié
et pour quelle raison allez-vous à la messe ?
Les peuples de l’antiquité avaient leurs jours de fête et parmi eux Israël se distinguait en vivant
selon le rythme hebdomadaire de six jours de travail culminant dans le shabbat, jour de repos
total et d’assemblée de prière à la synagogue. Or après la Pâque de Jésus, on voit ici et là
apparaître de nouvelles communautés regroupant des païens et des Juifs. Ces derniers
observent encore souvent le sabbat mais la réunion hebdomadaire se tient le lendemain du
sabbat, qu’on appelle « premier jour de la semaine » (Jour un).
Elle a lieu chez un des disciples qui dispose d’une demeure plus spacieuse car les chrétiens ne
construisent pas d’édifices sacrés. C’est pourquoi on ne demande pas aux riches de vendre leurs
biens mais de les mettre à la disposition de l’ensemble de la communauté. La foi ne se ressource
pas dans des lieux sacrés mais au coeur même de la vie quotidienne.
t pourquoi ce changement ? Les chrétiens répondent : Parce que c’est le jour où Jésus nous est
réapparu. Il a été exécuté au Golgotha la veille du shabbat et il est revenu le surlendemain, « le
3ème jour », le premier jour de la semaine suivante. Loin de nous accuser pour notre lâcheté,
ses plaies étaient source de pardon. Aussi nous avons décidé de faire mémoire de sa résurrection
non pas chaque année à la date anniversaire, au moment de la Pâque juive, mais chaque
semaine. Et ce jour, nous l’appelons « Jour du Seigneur », dont le nom latin (domenica dies)
deviendra le français « dimanche ».
Ainsi le temps de l’histoire humaine a pivoté de façon nouvelle : la semaine juive se terminait
le sabbat (devenu le samedi), et la nouvelle semaine chrétienne commence par la réunion de la
communauté qui chante la gloire de son Seigneur vivant, qui a donné sa vie pour nous offrir le
pardon de nos péchés, qui aujourd’hui encore nous parle quand nous écoutons les apôtres nous
raconter l’Évangile. Et la célébration culmine dans le partage de son Pain et de son Vin.
Les païens se rassemblent autour d’une tombe, d’un mémorial : ils se rappellent les exploits de
leur héros et se lamentent sur sa disparition. Nous chrétiens, en faisant mémoire de notre
Seigneur vivant, nous vivons sa Pâque qui nous libère de nos péchés et nous rassemble en un
seul corps.
En mangeant l’Eucharistie, Pain vivant, nous devenons le Corps actuel de Jésus. Nos corps de
chair nous séparent les uns des autres : le Pain du Christ nous constitue en un seul Corps.
On ne prouve pas la résurrection : on l’éprouve. La messe – assemblée unique où génie et rustre,
patron et manoeuvre, vieux et jeune, professeur et élève, pygmée et inuit, femme et homme, noir
et blanc : pièces éparpillées de l’humanité – se rapprochent et reconstituent « le Corps du Christ
vivant ». Il ne faut jamais réduire l’Eucharistie à un acte de recueillement personnel, à une
pratique de piété, à un exercice spirituel, à une cérémonie cléricale. Elle est la manifestation
tangible, ici et maintenant, que Christ est ressuscité.
Grâce à Pâques, chaque dimanche, nous ressuscitons. Nous étions abattus par nos fautes
quotidiennes et nous sommes relevés. Nous étions séparés par nos dissensions perpétuelles et
nous sommes unis en fraternité. Nous étions chloroformés par les slogans, le climat de
mensonge, le culte des idoles et nous sommes réveillés, lucides. La Paix et la Justice, dont
l’humanité rêve pour un avenir incertain et toujours reculé, nous les vivons ici et maintenant.
En ces jours, nos frères orthodoxes remplacent le bonjour par le salut : Christos anesti (Christ
est ressuscité) – et on répond Aletôs anesti (Christ est vraiment ressuscité).
On a tué des millions d’entre eux pour faire taire ce cri : aujourd’hui il résonne au Kremlin (où
dans un coin repose la momie de Lénine). Chacun son tombeau !
Frère Raphaël Devillers, dominicain