Contempler La table d’Emmaüs

Contempler La table d’Emmaüs
Comme un musicien qui s’inspire de thèmes anciens pour de nouvelles compositions, Arcabas nous fait
entendre en peinture sa propre méditation des disciples d’Emmaüs.
La silhouette du Christ dans son manteau bleu se détache sur le fond doré. Les mains levées en un geste de
prière, il bénit le pain rompu déposé dans le plat devant lui. Son visage comme la composition de la scène
rappellent d’autres représentations des disciples d’Emmaüs (Caravage, Rembrandt…). Mais loin de répéter ses
prédécesseurs, Arcabas poursuit leur recherche. Il nous conduit plus avant dans « l’intelligence » de ce
passage d’Évangile.
Deux disciples assis en vis-à-vis, les deux disciples dirigent leur regard vers Jésus. Coude sur la table, verre de
vin à la main, ils donnent l’impression d’être le reflet l’un de l’autre. On s’aperçoit pourtant que le peintre ne
les a pas traités de la même façon.
Le corps du disciple de droite évoque un bloc, une carapace d’où la tête sort prudemment. Visage impassible,
il écoute et observe attentivement Jésus. Quelque chose dans les gestes et les propos de ce voyageur
l’intrigue et l’amène à sortir de l’abattement dans lequel il était plongé après cette terrible après-midi de
vendredi au Golgotha.
Le disciple de gauche a un petit temps d’avance sur son compagnon. Il s’est redressé et la main sur laquelle sa
tête était appuyée reste en suspens. Sur ce visage stupéfait, le peintre a ajouté un « autre » oeil, car il
commence à regarder avec les yeux de la foi : « Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent » (Lc 24, 31).
Son corps est plus souple que celui de son ami et ses vêtements ont la couleur du feu qui l’habite désormais.

La table
Sur la table, le plat avec le pain rompu et le pichet pour le vin sont mis en évidence. Il y a aussi, au premier
plan, une coupe de figues bien mûres. La figue symbolise la connaissance de l’Écriture : quel que soit l’endroit
où l’on mord dans le fruit, on trouve des graines. Il en est de même pour celui qui se nourrit de l’Écriture :
quels qu’en soient la page ou le verset, la Parole de Dieu y demeure, n’attendant qu’à germer en celui qui la lit
et l’écoute.
La coupe de figues et le pain rompu représentent symboliquement l’itinéraire intérieur des disciples
d’Emmaüs. Après les avoir nourris du pain de sa Parole, le Christ leur partage le pain de sa Vie. Mais, au fait,
avez-vous vu une table ? Il n’y a pas vraiment de table…
Ou plus exactement on ne perçoit pas vraiment de différence entre la table et le manteau du Christ. Jésus fait
corps avec la table, c’est lui la Table où chacun est invité.
Le pain pour la route
À l’arrière-plan, deux petites croix dorées aux lignes souples se détachent sur le fond sombre. Elles ouvrent
une perspective lumineuse qui conduit à une troisième croix, encore plus grande, qui enveloppe le Christ
comme le ferait une mandorle. Ces croix, évocation de la Trinité, tracent un chemin de lumière venant d’un
au-delà.
Par les mains ouvertes du Christ, cette lumière descend sur le pain rompu et se répand sur les visages. Cet axe
de lumière vertical croise une ligne horizontale qui relie les deux verres de vin et forme avec elle une quatrième
croix. Le repas du Seigneur s’origine dans cette volonté de Dieu de venir à la rencontre des hommes et de
les faire vivre de sa vie. Encore un court instant et Jésus disparaîtra « à leurs regards » (Lc 24, 31). Nourris de
la Parole et du pain de Vie, Cléophas et son compagnon vont reprendre le chemin de Jérusalem et devenirs
témoins.
Dominique PIERRE – Journal « La croix »