Homélie du 5ème dimanche de Pâques
Homélie du 5ème dimanche de Pâques -10/05/2020.
Avec Jésus, en chemin vers le Père.
Pierre Chovet
Jn 14, 1-12. Le temps de l’absence (momentanée).
« Que votre coeur ne soit pas bouleversé… » nous dit Jésus, comme à ses disciples. Voilà déjà 8 semaines que nous sommes confinés comme dans un long carême, nous aspirons voir le
bout de ces limites à notre liberté et nous désirons vivement célébrer enfin le repas pascal en communautés de frères et soeurs, non plus virtuelles mais bien réelles.
Comme Thomas, nous aurions besoin de toucher à nouveau le corps du Seigneur, en même temps que celui de nos frères. Jésus aussi avait « désiré ardemment manger cette Pâques » avec
ses disciples. Nous sommes au chapitre 14 de l’évangile de Jean, Jésus a déjà célébré cette Pâque avec ses disciples et ils leur a lavé les pieds en signe du service qu’il allait accomplir en
donnant sa vie. Judas vient tout juste de sortir dans la nuit, abandonnant la communauté.
Jésus fait alors ses dernières recommandations et annonce son départ. Il va s’absenter mais seulement pour un temps. « Je reviendrai vous prendre avec moi ».
Déjà les disciples sont angoissés, ils se sentent abandonnés. Comme un enfant que sa mère doit quitter pour un instant ! C’est Pierre qui proteste le premier (voir le chapitre
précédent) : « Où vas-tu Seigneur… Pourquoi ne puis-je pas te suivre à l’instant ? » Puis, c’est au tour de Thomas d’exprimer son doute à Jésus qui promet de leur préparer une place : « Nous ne savons pas où tu vas, comment pourrions-nous connaître le chemin » ? Enfin, c’est Philippe qui interpelle Jésus : « Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit
». Manifestement les disciples sont décontenancés par cette absence que Jésus leur annonce. Que va-t-il se passer ? Le pasteur va être frappé et le troupeau dispersé. Le Serviteur de Dieu,
comme un agneau sans défense, sera conduit à l’abattoir… Gethsémani, le Golgotha et puis le tombeau vide… C’est un véritable effondrement !
En ces temps de confinement prolongé, nous aussi nous sommes désorientés, en perte de repères, en tout cas mis à l’épreuve par cette diète eucharistique et cette absence de
partages fraternels qui doivent se prolonger. Certains d’entre nous ont peut-être pensé : Dieu nous aurait-il abandonné pour laisser ainsi cette « plaie d’Égypte » nous tomber dessus ? Nos
églises sont vides ! Ne sommes-nous pas comme le peuple de Dieu captif au temps de l’Exil, sans temple, sans prêtre ni prophète, sans alliance… sans perspectives.
Comment redécouvrir ce qui fait le coeur de notre foi au-delà du rite, parfois routinier auquel nous nous étions habitués, avec des églises déjà désertées par les plus jeunes, mais nous nous
y étions si bien accoutumés ? Nous voilà pour un temps condamnés à chercher un peu de chaleur communautaire, confinés devant nos écrans. C’est mieux que rien, mais ça ne suffit
pas ! Ce n’est sans doute pas un hasard si les communications se sont multipliées depuis d’une autre manière, alors que nous nous pensions, simples consommateurs individuels de biens
religieux comme de biens matériels. L’homme ne vit pas seulement de pain. Et nous le redécouvrons !
Et si… nous étions en train de retrouver notre besoin vital de communauté, de solidarité, de bien commun, de gratuité? Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, Je suis au milieu
d’eux, nous dit Jésus, même hors des lieux de cultes, en groupe réduit dans nos maisons ou en famille. Nous redécouvrons ce que vivaient les toutes premières communautés chrétiennes,
ou encore aujourd’hui nos frères Juifs lorsqu’ils célèbrent Pessah, la Pâque. C’est ce qu’ont vécu de nombreux chrétiens en période de persécution ou aujourd’hui en région de pénurie
de prêtres, comme en Amazonie. Et si nous étions en train de redécouvrir que nous sommes nous-mêmes le Corps du Christ, en tension entre le déjà-là et le pas encore ?
« Églises vides, un signe et un défi ».
Écoutons à ce propos ce que dit un prêtre tchèque, Tomáš Halík : Nous devrions peut-être accepter l’actuel sevrage des services religieux et du fonctionnement de l’Église comme un kairos, une opportunité, pour nous arrêter et nous engager dans une réflexion approfondie devant Dieu et avec Dieu. Je suis convaincu que le temps est venu de réfléchir à la manière de poursuivre le mouvement de réforme que le pape François dit être nécessaire : non des tentatives de retour à un monde qui n’existe plus, ni un recours à de simples réformes structurelles externes, mais plutôt un changement vers le coeur de l’Évangile, un voyage dans les profondeurs … Si le vide des églises évoque le tombeau vide, n’ignorons pas la voix d’en-haut : « Il n’est pas ici. Il est ressuscité. Il vous précède en Galilée. »…
Jésus est le Chemin pour les retrouvailles auprès du Père. Revenons auprès des disciples en plein désarroi et écoutons Jésus répondre à Thomas : « Ne craignez pas… Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie… Personne ne va vers le Père sans passer par moi… Je suis dans le Père et le Père est en moi. »
Quand on marche sur un long chemin, surtout en randonnée, on sait qu’il faut de la patience et de l’endurance, mais aussi qu’elles seront largement récompensées. A plus forte raison, pour
des disciples à la suite d’un tel Maître de Vie. Il nous invite à le suivre avec confiance et à collaborer avec lui aux « œuvres du Père ».
1 Pi 2, 4-9. Disciples en chemin et pierres vivantes. En d’autres termes c’est aussi l’invitation de l’apôtre Pierre dans la deuxième lecture : « Soyez comme des pierres vivantes pour entrer dans la construction de la demeure spirituelle et devenir le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréable à Dieu ». L’Église du Christ est moins celle des bâtiments que nous avons désertés pour un temps, que celle à bâtir au cœur du monde en vertu de notre baptême qui a fait de nous tous des prêtres à part entière, « prêtres, prophètes et rois ». Jésus est lui-même la clé de voute de cette construction, mais pour ceux qui refusent de croire il est la pierre d’achoppement.
Alors retroussons les manches pour œuvrer avec Jésus à rebâtir ensemble notre maison commune et la maison de Dieu au milieu de son peuple. Chaussons nos brodequins et
mettons-nous en chemin, à la suite du Christ, il nous précède en Galilée. Note : Pour continuer la réflexion, vous pouvez lire l’intégralité du texte deTomáš Halík, ça
en vaut la peine, en cliquant sur le lien ci-dessous : http://saintmerry.org/les-eglises-vides-un-signe-et-un-defi/#https://baptises.fr/content/christianisme-alheure-
maladie
Tomáš Halík est un prêtre Tchèque, professeur de sociologie religieuse à l’Université Charles de Prague, et président de l’Académie Chrétienne Tchèque. Pendant le régime communiste, il a été actif dans l’« Église clandestine », puis conseiller du président Vaclav Havel .